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Essai de traduction (ci-dessous)

Avec l'aimable autorisation de l'auteur 

 

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Courtesy of the author

 

 

(يتبع)

لقراءة الجزء الأول اضغط على الرابط

الجزء الثالث والأخير: -الفرص الجديدة .. والأخيرة

 

Des dysfonctionnements de l’économie tunisienne :

 II- Des conditions de l'Etat stratège

 

Lorsque nous parlons des conditions de « l’État stratège », nous ne parlons pas de l'État qui contrôle l'économie à travers des plans de développement (l'État planificateur), mais plutôt de l'État qui a suffisamment d’anticipation au niveau local, régional et international pour parvenir - dans des délais  raisonnables à travers l’accompagnement et le  développement du  tissu économique du pays -  à un changement qualitatif de la croissance et du développement qui change radicalement la situation économique (état et position) du pays en une génération, comme cela s'est produit au Japon, en Chine et en Corée du Sud, par exemple.

 

Il y a des introductions nécessaires qui nous permettent de parler des conditions de l'État stratège: la première est la prise de conscience de la nécessité de faire un très grand pas en avant en une génération au plus tard, et la seconde est de mettre toutes les ressources du pays (ressources naturelles, institutions économiques, politiques gouvernementales et main-d’œuvre) dans un rythme très rapide pour profiter de toutes les opportunités de conquérir les marchés extérieurs  avec des biens ou des services ayant une haute compétitivité, même si leur valeur ajoutée est relativement faible au début et en troisième lieu, la conscience que réaliser un progrès économique rapide nécessite des réformes profondes non seulement dans la gouvernance de l’État, la réforme de l’administration, le climat des affaires et les infrastructures, mais aussi dans l’éducation et la formation, la lutte contre les disparités régionales et la création des conditions du bien-être  général.

 

L'État stratège n'est pas une question insignifiante  dans notre histoire contemporaine, car la Tunisie  a pu après l’indépendance - après quelques années de troubles du fait de l’absence de l’expérience de la gestion de l’Etat chez les pères fondateurs et la guerre civile que l'on a appelée la « Discorde yousfiste » et la persistance des bases militaires françaises - jeter  les bases de cet Etat.

 

On peut dire que depuis le début des années soixante du siècle dernier, l'Etat tunisien est devenu un Etat stratège  dans les deux sens du terme (un Etat stratège et un Etat planificateur)  et de manière très profonde, car  l'Etat de l’indépendance ne s'est pas contenté de créer les conditions d'une croissance économique à travers les pôles industriels répartis dans diverses régions du pays, mais il a accompagné cela par une profonde réforme du système d'éducation et de formation et un changement radical des mentalités à travers la modernisation de la famille grâce au  Code du statut personnel, moderniser et unifier le système judiciaire, et lutter contre toutes les manifestations d'arriération (comme on disait à l'époque) de charlatanisme, de sorcellerie, de capitulation et de léthargie, en encourageant le travail et en le considérant comme le plus saint des saints, et en luttant contre les tendances tribales. La politique de collectivisation dans sa philosophie était imbue  de toutes ces valeurs. Elle ne visait pas seulement à doubler la production, mais plutôt à s'habituer à la coopération, à transcender les intérêts individuels étroits et à s'engager dans la construction d'une nation solide et moderne. Ici, ce n’est pas le lieu de relever les aspects négatifs et les échecs des années soixante, qui ont été nombreux, mais plutôt la vision prospective de l'État et les projets de réforme qui ont été lancés et, à notre avis, la fin de l'expérience collectiviste n’a pas mis fin au rôle stratège de l'État, car cela s’est poursuivi  dans les années 70 avec feu Hédi Nouira, malgré l'importante modification des politiques publiques, toutefois la prospective, l'anticipation et le renouveau ont caractérisé cette deuxième décennie, qui a posé les bases de la l'économie tunisienne en l'ouvrant aux marchés mondiaux et en se concentrant sur une nouvelle classe d'investisseurs composée de femmes et d'hommes d'affaires qui, pour la plupart, étaient issus de l'administration et bénéficiaient de programmes pionniers pour tirer parti des opportunités d’exportation.

 

Par ailleurs, la plupart des systèmes alimentaires du pays, tels que les produits laitiers, la viande rouge et blanche, etc., ont été organisés en tenant compte des dimensions sociales (le salaire minimum industriel garanti et la famille productive...), ce qui prouve à lui seul que le rôle de stratège  de l'État n'était pas lié à une idéologie spécifique, mais plutôt avec une volonté d'apporter un changement significatif à la réalité à la lumière d'une vision prospective.

 

On peut dire que le rôle de stratège ou de planificateur de l'État tunisien a pris fin avec la crise de 1978, après quoi il y a eu une confusion dans les politiques publiques avec ce qu'on appelait l'ouverture depuis les années 1980, lorsque quelques années plus tard une crise financière étouffante est survenue et le pays est entré depuis cette période et jusqu'en 2010 dans la gestion quotidienne  et s'est appuyé sur les acquis des années soixante et soixante-dix sans un horizon stratégique intégré et fort. Après cela, la situation s'est caractérisée par une confusion dans le discours, une stagnation dans l'action et l'absence de réforme concrète, aussi limitée soit-elle, de sorte que la vitesse de la machine de production s'est arrêtée, et depuis 2011 nous vivons, structurellement, dans un état de croissance fragile.

 

Est-il possible, après toute cette inactivité, pour l’État tunisien de retrouver le rôle de stratège dans le développement qu’il a perdu il y a près d’un demi-siècle ?

 

L’État stratège ne naît pas simplement parce que les dirigeants le souhaitent ou parce qu’ils croient posséder les qualités suffisantes pour le faire. Les conditions historiques d’une certaine période ne peuvent pas être complètement restaurées, et le génie politique de dirigeants exceptionnels est un processus difficile à répéter dans le temps.

 

Ce qui a facilité l'émergence de l'État stratège  en Tunisie au début des années 1960, c'est la disponibilité d'une élite dirigeante de haut niveau sous la direction d'un dirigeant éminent qui avait la capacité d'anticiper depuis son entrée dans l'arène politique  et la lutte nationale à la fin des années 20 du siècle dernier, et qui a mis à contribution cette vaste capacité de réflexion et d’anticipation de l’avenir lorsque les rênes du pouvoir lui ont échu.

 

Il y a des conditions qui peuvent être remplies aujourd’hui, à condition que certains préalables soient réunis :

1 - L'intérêt des principales élites politiques (pouvoir et opposition) , intellectuelles et civiles à discuter et développer des idées qui anticipent l'avenir du pays dans tous les domaines.

 

2 – Approfondir la conscience géostratégique dans l’espace public

3 - Une conscience aiguë de la nécessité de réaliser un saut qualitatif en une génération

4 - Prise de conscience que le pouvoir économique est le moteur de toutes les réformes administratives, éducatives et de formation

5 - Penser à transformer tous les citoyens, hommes et femmes, en âge de travailler en une force productive directe ou indirecte.

6 - Le plus important de ces préalables  est de sacraliser le  travail, de déployer un maximum d'efforts et de transformer le travail en valeur suprême dans tous les domaines de la vie.

7 - Croire en la possibilité de créer les conditions de réussite et d'excellence pour toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens, et que l'horizon d'une société de la richesse  est également possible.

 

Tous ces préalables nécessitent sans aucun doute une révolution des valeurs, et avant cela, leur assimilation par la plupart des élites et des forces puissantes du pays, et de ne pas  pleurer sur notre ancienne gloire, et ne pas se contenter de dénoncer l'injustice dans le monde , et la ferme conviction que l'économie de notre pays, au sens large du terme, peut dépasser en l'espace d'une génération, celle de pays comme le Portugal et la Belgique par exemple.

 

Sans tous ces préalables et d'autres encore, il sera impossible de créer les conditions nécessaires à la possibilité d'un État stratège  et nous resterons mentalement dans les limites de l'État nourricier, incapable de créer de la richesse réelle et de développer la pays.

(A suivre )

 

III-Nouvelles et dernières opportunités

 

Editorial précédent:

- Des dysfonctionnements de l’économie tunisienne : I- Le péché originel

 

Attempt to translate into English

 

About dysfunctions of the Tunisian economy:

II- Conditions of the strategist State

 

When we talk about the conditions of the "strategist state", we are not talking about the state that controls the economy through development plans (the planning state), but rather the state that has sufficient anticipation at the local, regional and international level to achieve - within reasonable time frames through support and development of the country's economic fabric - a qualitative change in growth and development which radically changes the economic situation (state and position) of the country in one generation, as happened in Japan, China and South Korea, for example.

 

There are necessary introductions that allow us to talk about the conditions of the strategist  state: the first is the awareness of the need to take a very big step forward in one generation at the latest, and the second is to put all resources of the country (natural resources, economic institutions, government policies and labor) in a very fast pace to take advantage of all opportunities to conquer foreign markets with goods or services having high competitiveness, even if their added value is relatively low at the beginning and thirdly, the awareness that achieving rapid economic progress requires profound reforms not only in state governance, administration reform, business climate and infrastructure, but also in education and training, the fight against regional disparities and the creation of conditions for general well-being.

 

The strategist State is not an insignificant question in our contemporary history, because Tunisia was able after independence - after a few years of unrest due to the absence of experience of State management among the founding fathers and the civil war that was called the “Yousfist Discord” and the persistence of French military bases - laying the foundations of this State.

 

We can say that since the beginning of the sixties of the last century, the Tunisian State has become a strategist State in both senses of the term (a strategist State and a planning State) and in a very profound way, because the State of independence did not just create the conditions for economic growth through industrial centers spread across various regions of the country, but it accompanied this by a profound reform of the education and training system and a radical change mentalities through the modernization of the family thanks to the Personal Status Code, modernize and unify the judicial system, and fight against all manifestations of backwardness (as they said at the time) charlatanism, witchcraft, capitulation and of lethargy, encouraging work and considering it the holiest of holies, and fighting against tribal tendencies. The policy of collectivization in its philosophy was imbued with all these values. It was not just about doubling production, but rather about getting used to cooperation, transcending narrow individual interests and engaging in building a strong, modern nation. Here, it is not the place to highlight the negative aspects and failures of the sixties, which were numerous, but rather the forward-looking vision of the State and the reform projects that were launched and, in our opinion, the end of the collectivist experience did not put an end to the strategist   role of the State, because this continued in the 70s with the late Hédi Nouira, despite the significant modification of public policies, however the prospective, the anticipation and renewal characterized this second decade, which laid the foundations of the Tunisian economy by opening it to global markets and focusing on a new class of investors made up of business women and men who, for the most part, came from the administration and benefited from pioneering programs to take advantage of export opportunities. Furthermore, most of the country's food systems, such as dairy products, red and white meat, etc., have been organized taking into account social dimensions (the guaranteed industrial minimum wage and the productive family, etc.), which alone proves that the state's role as strategist was not linked to a specific ideology, but rather with a desire to bring a significant change to reality in the light of a forward-looking vision.

 

We can say that the role of strategist or planner of the Tunisian state ended with the crisis of 1978, after which there was confusion in public policies with what was called openness since the 1980s , when a few years later a suffocating financial crisis occurred and the country entered from this period and until 2010 into daily management and relied on the achievements of the sixties and seventies without an integrated and strong strategic horizon. After that, the situation was characterized by confusion in discourse, stagnation in action and the absence of concrete reform, however limited, so that the speed of the production machine stopped, and since 2011 we have been living, structurally, in a state of fragile growth.

 

Is it possible, after all this inactivity, for the Tunisian state to regain the role of strategist in development that it lost almost half a century ago?

 

The strategist State is not born simply because leaders want it or because they believe they have the sufficient qualities to do so. The historical conditions of a certain period cannot be completely restored, and the political genius of outstanding leaders is a process difficult to repeat over time.

 

What facilitated the emergence of the strategist state in Tunisia in the early 1960s was the availability of a high-level ruling elite under the leadership of a prominent leader who had the capacity to anticipate from entered the political arena and the national struggle at the end of the 20s of the last century, and who put to use this vast capacity for reflection and anticipation of the future when the reins of power fell to him.

 

There are conditions that can be met today, provided that certain prerequisites are met:

1 - The interest of the main political (power and opposition), intellectual and civil elites in discussing and developing ideas that anticipate the future of the country in all areas.

2 – Deepen geostrategic awareness in the public space

3 - An acute awareness of the need to make a qualitative leap in one generation

4 - Awareness that economic power is the driving force behind all administrative, educational and training reforms

5 - Think about transforming all citizens, men and women, of working age into a direct or indirect productive force.

6 - The most important of these prerequisites is to make work sacred, to deploy maximum effort and to transform work into a supreme value in all areas of life.

7 - Believe in the possibility of creating the conditions of success and excellence for all Tunisians, and that the horizon of a society of wealth is also possible.

 

All these prerequisites undoubtedly require a revolution of values, and before that, their assimilation by most of the elites and powerful forces of the country, and not to cry over our former glory, and not just to denounce injustice in the world, and the firm conviction that the economy of our country, in the broad sense of the term, can exceed in the space of a generation, that of countries like Portugal and Belgium for example.

 

Without all these prerequisites and more, it will be impossible to create the conditions necessary for the possibility of a strategist state and we will remain mentally within the limits of the nurturing state, incapable of creating real wealth and developing country.

(To be continued )

III-New and latest opportunities

 

Essai de traduction (ci-dessous)

Avec l'aimable autorisation de l'auteur 

Attempt to translate into English (below)

Courtesy of the author

 

 

(يتبع)

II- في شروط الدولة المُخطّطة

 

 

Des dysfonctionnements de l’économie tunisienne : I- Le péché originel

 

Depuis au moins 15 ans, notre pays connaît une croissance fragile, qui tourne autour de 0,8% entre 2010 et 2020 selon les données de l'Institut national de la statistique.

Il ne fait aucun doute que le taux de croissance négatif de 9,2 % en 2020 a grandement aggravé  les choses, et même si nous omettons cette année, nous serons à un taux moyen inférieur à 2 % de 2010 jusqu'à fin 2023. Et en dépit du fait que nous sommes en face d’une croissance positive, mathématiquement, elle  ne résout pas le chômage et ne réduit pas la pauvreté, si jamais elle ne l’exacerbe pas, ce qui ne permettra pas la renaissance économique dont nous avons tous rêvé dans les premières semaines de la révolution tunisienne.

 

La question qu'il convient aujourd'hui de se poser très sérieusement est la suivante: pourquoi nous sommes nous révoltés contre un régime  qui réalisait  4 % au cours de sa dernière décennie et plus de 5 % au cours de sa première décennie, pour ensuite atteindre un taux qui dépassait difficilement  1 % si on exclut l'année du Covid ?

 

Il existe un péché originel auquel nous devons nous arrêter et comprendre les conditions de sa production afin de pouvoir commencer à avancer  sur la bonne voie.

L’idée que nous souhaitons soumettre à la discussion est dans quelle mesure notre vision de l’économie tunisienne au cours des cinq premières décennies de l’indépendance affecte-t-elle la semi-stagnation à laquelle nous avons assisté depuis 2011 jusqu’à aujourd’hui ?

 

La plupart des composantes de la scène politique, des droits de l'homme, syndicale et médiatique ont contribué à la formation d'une image très négative de ce que nous appelons le « modèle de développement » de l'État de l’indépendance, en particulier pendant la période du régime de feu Le président Ben Ali, reposant sur l’idée qu’il s’agit d’une économie corrompue et de corruption contrôlée par des parties proches du pouvoir, familiales ou clientélistes, au cours de laquelle ont eu lieu des privatisations des institutions publiques les plus importantes au profit de ces lobbies et de leurs partenaires à l’étranger et que   le partenariat avec l’Union européenne a détruit le tissu industriel tunisien et exacerbé le chômage et les injustices régionales et sociales. De plus, les secteurs économiques les plus importants sont contrôlés  par des « cartels » qui bénéficient de lois et de pratiques qui perpétuent l’économie de rente et le clientélisme, ferment le marché à une véritable concurrence, et obligent notre économie à produire une faible valeur ajoutée, la rendant incapable de ce fait d'absorber les diplômés du supérieur. Quant à ce que nous avons pu produire malgré cela, il a été en  majeure partie pillé ou exporté frauduleusement vers l’étranger.

 

Je ne pense pas que cette image de la conscience collective soit exagérée, même si certaines voix isolées ont cherché à préférer une évaluation rationnelle et objective du résultat économique tunisien, car cela seul explique l'empressement des élites dirigeantes à « rompre » avec ce « modèle ». (au moins au niveau du discours) et commencer à réformer le système de pouvoir politiquement et institutionnellement, car car considéré  comme étant le premier responsable de cette dévastation générale... Cela s'explique aussi par la critique quasi unanime du système de transition démocratique, ou de la décennie noire, comme la plupart d'entre eux aiment l'appeler, car il s'agit d'une poursuite insidieuse de l'ancien système et qu'il a accru la corruption. Par conséquent, il a fallu procéder à la réforme, en commençant -  une fois de plus - par l’architecture du pouvoir, en changeant la constitution. et l’arsenal juridique comme seul point d’entrée et condition fondamentale pour réformer l’économie.

Il nous semble que nous avons aujourd'hui suffisamment de recul temporel et mental pour prendre conscience de l'ampleur des dégâts causés à l'économie et au pays par cet  imaginaire dominant chez la plupart des élites du pays, si l'on exclut, bien entendu, les élites économiques…

Ce qui a aggravé la situation, c'est le grand nombre d'amateurs qui ont exercé les responsabilités les plus importantes de l'État depuis 2011, selon les mots de l'historien Fethi Laisser dans son livre « L'État des amateurs », qu'il a consacré au gouvernement de la « Troïka », et on peut généraliser ses conclusions à la plupart des gouvernements qui ont suivi la « Troïka ».

 

Personne ne doute de l’existence de plusieurs dysfonctionnements dans les systèmes économiques du pays avant la révolution., mais le péché originel, selon nous, est de transformer la nécessaire lutte contre la corruption en une idéologie fermée et totale qui ne voit la réalité complexe de tous nos systèmes de production et de nos politiques économiques que sous cet angle, et qui  n'a pas compris le secret des succès remportés par la Tunisie de 1960 à 2011 et comment elle a pu atteindre un taux de croissance annuel d'environ 5%. Ce qui est plus dangereux, c'est qu’elle n'a pas réalisé que certains échecs (comme les taux de chômage élevés parmi les diplômés du supérieur) sont le résultat problématique de succès antérieurs, qui dans ce cas est la disparité entre le taux de généralisation de l'éducation et l’élévation de l’économie en général dans l'échelle des valeurs.

Il est vrai que la corruption, la mauvaise gouvernance, l’incapacité à entreprendre à temps les réformes nécessaires et le faible rôle stratégique de l’État… tous ces facteurs font partie des pannes de l’économie tunisienne, mais ils ne sont pas l’ensemble de l’économie, sinon le pays n’aurait pas réalisé cette croissance tout au long de  cinq décennies complètes.

 

Avec la révolution, notre pays avait besoin d’une réforme profonde et globale, et non d’une rupture. La différence entre les deux est claire. Une réforme profonde et globale nécessite une connaissance précise des réalités multiples et complexes de l’économie, ainsi que des institutions économiques privées de tailles et de types variés. Cette prise de conscience et cette nuance étaient absentes - lors de l’évaluation des différentes politiques publiques économiques de l'État de l'indépendance - chez la plupart des acteurs politiques, syndicalistes, juristes et professionnels des médias, qui ont à la place fait usage de slogans généraux, dont la plupart sont inspirés par le populisme de l'idéologie de la lutte contre la corruption et l'idéologie de rupture avec le passé. Cependant, le plus grand danger pour l'économie du pays est la « rupture » ou la stagnation, car nous sommes confrontés à un dynamique  quotidienne qui doit être soutenue, développée et réformée, et non détruite par une diabolisation continue et absurde.

 

Ce qui a manqué dans l'économie du pays pendant toutes les années de la révolution, ce ne sont pas les réformes - qui sont nécessaires - mais plutôt l'accompagnement intelligent de la part du  pouvoir politique, sa soumission dans de nombreux cas au chantage et sa tendance à d'autres moments à se replier sur lui-même. Le fait est que le pays avait besoin non seulement d'un État de professionnels, mais en plus de cela, d'un État qui ait la capacité de planifier et d'anticiper, avec la capacité d'accompagner au quotidien le tissu économique dans toutes ses complexités.

 

Nous n’allons pas réinventer la roue : l'économie a besoin d'investissements, d'une augmentation de la productivité des facteurs (capital, travail, innovation technologique et services logistiques), de la conquête de nouveaux marchés, d'une élévation dans l'échelle des valeurs, et tout cela nécessite un État stratège… Notre péché originel est que nous avons ignoré toutes ces données de base, et notre pays a perdu, au cours de ces dernières années, des marchés, des emplois et et un bien-être relatif de toutes  ses filles et de tous ses fils.

(à suivre)

II- Des conditions de l'Etat stratège

 

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About the dysfunctions of the Tunisian economy:

I- Original sin

 

 

For at least 15 years, our country has experienced fragile growth, which is around 0.8% between 2010 and 2020 according to data from the National Institute of Statistics.

 

There is no doubt that the negative growth rate of 9.2% in 2020 made things much worse, and even if we omit this year we will be at an average rate of less than 2% from 2010 until the end of 2023. And despite the fact that we are facing positive growth, mathematically, it does not resolve unemployment and does not reduce poverty, if ever it does not exacerbate it, which will not allow the economic renaissance that we all dreamed in the first weeks of the Tunisian revolution.

 

The question that must be asked very seriously today is the following: why did we revolt against a regime which achieved 4% during its last decade and more than 5% during its first decade, and then reach a rate that barely exceeded 1% if we exclude the year of Covid?

 

There is an original sin that we must stop at and understand the conditions of its production so that we can begin to move forward on the right path. The idea we wish to submit for discussion is to what extent does our vision of the Tunisian economy during the first five decades of independence affect the semi-stagnation we have witnessed since 2011 until Today ?

 

Most components of the political, human rights, trade union and media scenes have contributed to the formation of a very negative image of what we call the “development model” of the State of independence, particularly during the period of the regime of the late President Ben Ali, based on the idea that it was a corrupt and corruption economy controlled by parties close to power, family or clientelist, during which privatizations of the most important public institutions took place for the benefit of these lobbies and their partners abroad and that the partnership with the European Union destroyed the Tunisian industrial fabric and exacerbated unemployment and regional and social injustices. Furthermore, the most important economic sectors are controlled by "cartels" which benefit from laws and practices which perpetuate the rent economy and clientelism, close the market to real competition, and force our economy to produce low added value, making it incapable of absorbing higher education graduates. As for what we were able to produce despite this, most of it was looted or fraudulently exported abroad.

 

I do not think that this image of the collective conscience is exaggerated, even if certain isolated voices have sought to prefer a rational and objective evaluation of the Tunisian economic result, because this alone explains the eagerness of the ruling elites to "break" with this " model ". (at least at the level of discourse) and begin to reform the system of power politically and institutionally, because considered to be the first responsible for this general devastation... This is also explained by the almost unanimous criticism of the democratic transition system, or the Black Decade, as most of them like to call it, because it is an insidious continuation of the old system and has increased corruption. Therefore, it was necessary to carry out reform, starting - once again - with the architecture of power, by changing the constitution. and the legal arsenal as the only entry point and fundamental condition for reforming the economy.

 

It seems to us that today we have sufficient temporal and mental perspective to realize the extent of the damage caused to the economy and the country by this dominant imagination among most of the country's elites, if we exclude, of course, the economic elites…

 

What has made the situation worse is the large number of amateurs who have exercised the most important responsibilities of the state since 2011, in the words of historian Fethi Leissir in his book “The State of Amateurs” , which he devoted to the government of the “Troika”, and we can generalize his conclusions to most of the governments which followed the “Troika”.

 

No one doubts the existence of several dysfunctions in the economic systems of the country before the revolution, but the original sin, in our opinion, is to transform the necessary fight against corruption into a closed and total ideology which does not see the complex reality of all our production systems and our economic policies only from this angle, and which has not understood the secret of the successes achieved by Tunisia from 1960 to 2011 and how it was able to achieve an annual growth rate of around 5 %. What is more dangerous is that it has failed to realize that some failures (such as high unemployment rates among university  graduates) are the problematic result of prior successes, which in this case is the disparity between rate of generalization of education and the rise of the economy in general in the scale of values.

 

It is true that corruption, bad governance, the inability to undertake the necessary reforms in time and the weak strategic role of the State... All these factors are part of the breakdowns of the Tunisian economy, but they are not the whole economy, otherwise the country would not have achieved this growth throughout five full decades.

 

With the revolution, our country needed a deep and comprehensive reform, not a rupture. The difference between the two is clear. Deep and comprehensive reform requires precise knowledge of the multiple and complex realities of the economy, as well as private economic institutions of varying sizes and types. This awareness and this nuance were absent - when evaluating the various economic public policies of the State of Independence - among most political actors, trade unionists, lawyers and media professionals, who instead made use of general slogans, most of which are inspired by the populism of the ideology of the fight against corruption and the ideology of breaking with the past. However, the greatest danger for the country's economy is "rupture" or stagnation, because we face a daily dynamic that must be sustained, developed and reformed, not destroyed by continued and absurd demonization.

 

What was missing in the country's economy during all the years of the revolution was not the reforms - which are necessary - but rather the intelligent support on the part of the political power, its submission in many cases to blackmail and his tendency at other times to withdraw into himself. The fact is that the country needed not only a State of professionals, but in addition to that, a State which has the capacity to plan and anticipate, with the capacity to support the economic fabric on a daily basis in all its complexities.

 

We are not going to reinvent the wheel: the economy needs investments, an increase in factor productivity (capital, labor, technological innovation and logistical services), the conquest of new markets, an elevation in the scale of values, and all this requires a strategist State... Our original sin is that we ignored all these basic data, and our country has lost, in recent years, markets, jobs and a relative well-being of all his daughters and sons.

 

(to be continued)

II- About conditions of the strategist State

L'Editorial: « Message » 

 

Par Hédi Mechri

l’Economiste Maghrébin du 22 novembre au 6 décembre 2023

 

 

"Encore une année pour rien ou presque, avec au mieux des prévisions de croissance de 0,9%. Moins que le taux de croissance démographique. De quoi faire baisser de nouveau le Revenu national par habitant. Pas de quoi relever la tête. Et vogue la galère. Nos compétiteurs, si tant est qu’on peut les considérer comme tels, ont fait trois fois mieux sinon davantage. Quatre ans après l’effondrement (-9%) provoqué par la crise sanitaire mondiale, l’économie nationale n’a pas retrouvé son niveau d’avant 2019, quand la plupart sinon la totalité des économies ont renoué avec la croissance et effacé les stigmates d’avant-crise. Ce décrochage, qui se poursuit et s’accentue d’une année à l’autre, n’est pas d’un bon présage."

Pour poursuivre la lecture de l'Editorial, cliquer sur le lien

 

La Tunisie perd beaucoup à prolonger

la crise avec l’Europe

 

Par Elyes Kasri

Ancien Ambassadeur de Tunisie à Seoul, New Delhi, Tokyo et Berlin, 

ancien directeur général Amériques-Asie et Afrique au MAE

27 novembre 2027

Afin de dissiper les malentendus avec la Tunisie, exacerbés par le mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre la Tunisie et l’Union européenne (UE), signé à Carthage le 16 juillet 2023, qui a aggravé la confusion dans les relations entre la notre pays et son principal partenaire économique, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, avait formulé, le 7 octobre dernier, le souhait de réunir le Conseil d’association Tunisie-UE avant la fin de l’année en cours, donc d’ici la mi-décembre 2023, en tenant compte des contraintes de calendrier dues aux vacances de fin d’année en Europe.

 

 

 

Le débat au palais du Bardo lors de l’adoption du budget du ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, le 22 novembre, qui a donné lieu à des échanges et des scènes à oublier, aurait pu être l’occasion d’aborder la problématique des relations tuniso-européennes dans un monde en pleine mutation et en crise post-Covid et des retombées des combats en Ukraine et en Palestine occupée.

 

Le débat aurait pu être centré sur les opportunités et nouvelles pistes de positionnement de la Tunisie sur la scène internationale et de renforcement des relations de coopération avec les pays partenaires susceptibles de contribuer aux réformes engagées en Tunisie ainsi qu’au processus de relance économique de même qu’une approche plus globale et à long terme de la problématique migratoire principalement avec l’UE.

Le Conseil d’association Tunisie-UE, plus haute instance de consultation et de coopération avec notre principal partenaire, ne s’est pas réuni depuis 2019 (XVe, tenu le 17 mai 2019 à Bruxelles) en dépit de sa fréquence censée être annuelle.

 

De nombreux observateurs considèrent que l’état et le climat actuels des relations tuniso-européennes desservent les intérêts de la Tunisie tant au regard des opportunités ratées d’obtention d’une aide conséquente au développement notamment à travers des mécanismes communautaires comme les fonds structurels, que de l’investissement, du commerce international et des intérêts de la colonie tunisienne en Europe qui constitue la destination de prédilection des migrants tunisiens toutes catégories confondues.

 

L’objectif de diversification des champs de la coopération tuniso-européenne et de son intensification dicte une consultation multisectorielle tuniso-tunisienne préalable afin de recueillir les doléances et propositions des acteurs et intervenants nationaux dans tous les secteurs de coopération afin de présenter lors du prochain Conseil d’association un programme stratégique et multisectoriel en vue d’une coopération élargie gagnant-gagnant servant les intérêts à long terme de la Tunisie.

 

Les gesticulations et vociférations à l’encontre des pays et ambassadeurs européens ne contribuent pas à créer des conditions propices pour un dialogue serein et productif susceptible de hisser les relations et la coopération tuniso-européennes au niveau requis par nos intérêts et les exigences de toute sortie de crise et de relance économique durable en Tunisie.

 

Même si certains peuvent reprocher aux pays européens un certain parti-pris pro-israélien, bien qu’une tendance au rééquilibrage commence à se faire sentir, la sagesse et les intérêts supérieurs de la Tunisie dictent de faire la part des choses et de prendre conscience que la Tunisie ne peut prétendre dicter à l’Europe ses positions internationales mais a le devoir d’œuvrer à des compromis et à la mise en place de leviers de développement et de sécurité mutuels car la Tunisie et l’Europe sont condamnés par l’histoire et la géographie à faire partie de la sécurité de l’autre.

 

Si l’Europe n’a pas intérêt dans l’exacerbation de la crise que vit la Tunisie à la suite de la décennie noire et du détournement du processus démocratique par une coalition islamo-mafieuse, la Tunisie à son tour aurait beaucoup à perdre de toute crise prolongée ou déstabilisation de l’Europe.

 

La volatilité de la scène internationale et les exigences de sortie de crise et de relance économique nécessitent une meilleure appréciation du potentiel offert par un partenariat mieux étudié, plus habilement négocié et plus ambitieux avec l’UE.

 

C’est le principal défi de la Tunisie dans le cadre d’une réorganisation de ses priorités et négociations ainsi que d’un rôle plus clair et plus engagé de la diplomatie tunisienne qui doit être le fer de lance d’un processus serein et inclusif de redéfinition des relations et de la coopération tuniso-européenne en dépassant le cadre éculé et incantatoire de ce qui est qualifié de diplomatie économique tiraillée entre une pléthore de ministères et d’agences gouvernementales, mais plutôt en vue d’une diplomatie de développement qui ferait du ministère des affaires étrangères le chef de file et le coordinateur transversal de nos relations et coopération internationales multi-sectorielles, loin de la cacophonie et des dysfonctionnements qui ont abouti à la situation actuelle de contre performance, de déception et de rancœurs.

 

 

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